Signum Crucis

             Couronne de la reine des fées posée telle une larme sur l'océan Atlantique, lieu de villégiature pour Sarah Bernhardt, mais aussi synonyme d'enfer qui gangrènera au fil des années la famille Nédelec,  Belle-île-en-mer sera le terrain de jeu idéal d'un tueur sanguinaire.

             L'histoire relate l'épopée prospère mais aussi le douloureux destin de cette riche lignée Nédelec, propriétaire de l'une des plus grandes sardinerie de l'île.

 

             Une inscription en latin  « SIGNUM CRUCIS, ou bien LE SIGNE DE LA CROIX », découverte et écrite avec du sang , proche de plusieurs corps mutilés, exsangues, laissera longtemps circonspect l'inspecteur Moriotti confronté à une épineuse énigme.

 

              Quant à moi le jeune Hippolyte, pauvre hère inculte, sans avenir à Vannes, élevé par une grand-mère indigente, allais devoir braver la loi des hommes après un banal vol de nourriture. Emprisonné à Belle-île-en-mer, mon quotidien sera fait d'injustices, de travaux forcés et de viols répétés par un tortionnaire.

 

              Après mon évasion, je vais être recueilli, puis caché par une insolite Brésilienne, accompagnée d'un gamin étrange. Par miracle, j'allais devenir le fils providentiel Nédelec . Cette nouvelle mère me propulsera dans un monde de richesses aux pièges inattendus.

                « Dans ces années-là, le terme meurtrier en série n'existait pas encore et seul le malin pouvait perpétrer de telles atrocités... »

 

SIGNUM CRUCIS.

Extrait.

CHAPITRE 1

 

Mai 1895. Quelque part sur l'océan Atlantique

 

 

Je traversais mes derniers instants de liberté, emporté par les bourrasques de l'Atlantique. Ils avaient hissé la grand-voile de mon proche enfermement. Cerné de murs infranchissables, j'allais devenir un nouvel enfant privé de ses rêves, de son innocence, de sa fierté...

Je ne verrai plus grandir les haricots du jardin à côté des salades. J'aimais malaxer la terre, la sentir, lui parler, célébrer la profusion que nous offre la nature. J'étais un misérable, un oublié, perdu dans ce monde qui refuse de vous tendre la main. Pouvait-on me reprocher avec un tel acharnement d'avoir dissimulé sous mon veston une miche de pain et quelques pommes ?

J'avais naturellement obéi à ce ventre serré, criant famine. Malheureusement, le règlement des hommes excluait que l'on puisse se servir impunément sans le moindre argent. Toutes ces personnes bien assises, rondouillardes, rigides, ne soupçonnaient pas un instant mon grand désarroi.

Orphelin, je grandissais dans une extrême pauvreté, juste élevé par une grand-mère indigente, chaleureuse, mais malheureusement exténuée.

Je devinais encore cet homme gardien des lois, vociférant tout là-haut sur son perchoir : « - Vous finirez en enfer ! Maudit gamin, allez rejoindre le cercle des voyous de votre espèce ! ».

Je ne saisissais pas cette haine viscérale à mon encontre, moi le presque enfant, qui avait uniquement souhaité se sustenter.

Alors que je m'éloignais de la salle austère, il continuait ses hurlements :   

 « — Soyez encore heureux que l'on ne vous envoie pas au bagne de Cayenne. Deux ans à Belle-île-en-mer ! La, la, la, vous n'y couperez pas ! » 

Je me sentis soudain petit, tellement démuni devant l'ombre géante de chacun de ces gens de la justice de mon pays.

Sitôt, je compris que l'atout de ma jeunesse allait m'éviter le camp de la transportation et m'expédiait tout droit sur une île parsemée d'autres adolescents en souffrance, mais que pour autant la vie ne serait pas une partie de plaisir. 

Je n'étais pas cultivé, cependant l'on me décrivait comme malin, agile et déterminé. Mon unique obsession sera de prendre la fuite, de refuser le lit miteux, souillé et couvert de punaises que le maton me jettera à la figure. 

 Jamais je ne supporterai cet exil loin d'une grand-mère sans grande importance à mes yeux, qui malgré tout s'évertuait à m'élever de son mieux et demeurait néanmoins le sang de mon sang. Je me soumettrai non sans mal à la rigueur, et la révolte sera le signe de mon opposition aux injustes lois dictées envers les hommes perdus dans les affres de la vie.

Ils nous avaient épargné la cale, nous accordant ainsi le privilège de respirer le grand air du large, le visage fouetté par les embruns. J'appréciais cet ultime face à face avec les éléments naturels et j'enregistrais quelque part dans un coin de mon cerveau le bleu de l'océan, du ciel, de la tenue du capitaine de vaisseau... 

Bientôt je ne serai plus que le témoin du gris des murs, du teint blafard de mes geôliers. Il n'y aura pas de rosiers grimpants pour égayer la façade de mon univers.

Assis, enchaîné pareil à un assassin, j'enviais ces gabiers heureux de hisser leur liberté tout en haut du mât de misaine de la goélette. Tout ces gens m'ignoraient, je n'étais qu'un passager sans importance, un gamin qui allait rejoindre le rang de la discipline. À quatorze ans, je devenais un presque adulte envahi de peurs intérieures. Heureusement, avant cette descente aux enfers, j'avais traversé quelques périodes d'ivresse, d'insouciance et même de premiers émois amoureux... 

 

J'avais rougi devant une jeune lavandière près de l'étang du Duc à Vannes. Elle aidait sa mère à frapper le linge ; toutes deux étaient des magiciennes de la propreté, prêtes à supporter d'extrêmes fatigues afin que l'homme puisse porter une culotte propre. Moi je fourmillais au milieu de cette ruche de femmes en observant ces scènes incessantes de lutte acharnée contre la salissure.

Elle se prénommait Antoinette, portait la 'Tri kintr', une coiffe moderne à trois coins et un châle en velours noir surplombait sa longue robe couverte d'un tablier en soie. Elle était d'une grande élégance et dégageait un parfum envoûtant. À l'inverse, je me vêtais de guenilles malodorantes offertes par des âmes charitables.

Grand-mère flattait ma beauté lorsque j'étais correctement peigné. Je prenais soin de ma coiffure, et jamais je n'aurais voulu que l'on touche à mon ondulante chevelure blonde, telle celle d'un petit prince lumineux éloigné d'un monde enchanteur. Je pressentais fortement qu'à peine débarqué, j'allais subir ma première humiliation par un rasage sauvage. J'aurais préféré traîner des colonies de poux que de sentir mon crâne brûlé par les rayons du soleil.

 « Chère Antoinette, j'emporte avec moi, dans un coin de ma mémoire le souvenir de ta silhouette. Je ne te reverrai sans nul doute jamais, mais en attendant des temps meilleurs, tu seras la femme qui comblera mes solitudes. Le regret de ne pas avoir embrassé, goûté à tes lèvres si proches et maintenant si lointaines m'envahit déjà. » 

         

Je n'étais pas seul à rejoindre cette galère, un garçon plus âgé à la peau noire, assis à mes côtés fixait l'horizon. Il ne disait mot depuis notre départ, pas même un toussotement, un cri de désespoir...

Nous ne partions pas en villégiature, et le silence accompagnait nos pas.

Au-dessus de ma tête me saluait un Fou de Bassan, fuyant lui aussi vers un autre monde. J'aurais tant voulu le rattraper au vol tout là-haut, au-dessus de la misère humaine.

Au loin, je distinguais maintenant un bout de terre, la forme d'une île suivie de deux autres. Elles s'alignaient, magiques, dans un ordre de taille croissante : Hoëdic, Houat, Belle-île en mer. Le continent des gens bien tranquilles, quant-à-lui s'était évaporé à tout jamais dans une brume côtière. Nous avancions bien trop vite vers notre univers carcéral.

Malgré la chaleur, j'avais froid. Je croyais que nous étions encore en hiver. Comment pouvais-je me situer dans le calendrier de la vie ? Tout avait fui si vite, sans me laisser le temps de comprendre, de réagir, de me battre pour la liberté.

Combien de gosses avant nous avaient foulé ce bout de terre si majestueux, néanmoins si hostile avec pour unique fardeau de supporter l'usure prématurée de leur jeunesse ? Et combien le rejoindront encore ? Malgré mes multiples interrogations, je conservais un moral des plus forts, une voix me soufflait le soir que je ne pourrirai pas dans ce lieu obscur.                                                                                                                   

Le port s'avançait maintenant vers nous, ou plutôt était-ce l'inverse. Quoiqu'il en soit, mon visage s'assombrit à la vue d'une imposante citadelle posée en barrière de protection. La simple vision de cette bâtisse me fit penser que la fuite ne serait pas aussi évidente que je ne l'avais envisagée.

La foule grouillait de partout, on préparait le départ des sardiniers. Les petits mousses embarquaient la rogue, secouaient les mailles des filets bleus, puis embrassaient la belle avant d'affronter leur quotidien éloigné dans le creux des vagues. 

Tout un peuple pareil à celui du continent semblait y vivre dans une même agitation et aiguisait ma curiosité. Je fus transcendé par l'idée que peut-être la quête du bonheur trouvait sa solution ici, que les lois n'existaient pas, que la nature offrait à l'humain suffisamment pour survivre. Ce ne fut qu'une brève euphorie du cerveau d'un enfant avant qu'il ne se confronte à la dure réalité. 

Nous fûmes tous deux débarqués avec notre maigre baluchon. Personne ne faisait attention aux parias, aux exclus de la société, à ceux qui ne gardent pas le bon cap. Seul mon camarade de couleur et muet attirait la curiosité des passants. Cette population éloignée des grands centres n'avait jamais sans doute côtoyé de gamin à la peau noire. Des enfants se moquaient, des adultes détournaient le regard, évitant de croiser celui de l'indigène. Le pauvre garçon subissait une double peine. Sans doute habitué aux quolibets, il se déplaçait sans révolte, esquivant au mieux la méchanceté humaine.

Au milieu de cette indifférence, seule une dame m'observait. Sans coiffe, elle sortait de l'ordinaire, s'élevant au-dessus d'une foule sombre ; une géante perdue dans un monde d'hommes et de femmes terreux. Élégante, le chignon impeccable, un fume-cigarette à la commissure des lèvres, le teint mat, les yeux noirs, elle se tenait droite sans bouger le sourcil, fixant les pauvres hères que nous étions.                                                                     

Sa silhouette était-elle le fruit d'une imagination féconde ou l'image réelle d'une mère inconnue et lumineuse à la recherche de sa progéniture ?                                                                Sans doute étais-je dans l'erreur, cette déesse ne pouvait être celle que je n'avais jamais étreint. Elle me fascinait tant que je ne vis pas la corde enroulée au sol qui me fit chuter. La populace en manque de distraction se mit à rire de mon malheur. Au moment où je me relevais, l'inconnue avait disparu. Je ne sais pour quelle raison, mais la certitude de la retrouver un jour me rendit presque joyeux.

A la vue de ma galipette, mon tortionnaire de surveillant ne plaisanta pas et arracha un pan de ma veste déjà si abîmée, me traita de voyou, de lambin, d'idiot du village, de sous-homme...

Je n'entendais rien à son discours impertinent, car bientôt je serai ailleurs. Après le virage suivant, toute trace de civilisation semblait s'être évaporée. Plus une âme qui vive, sinon quelques chiens errants et rats se mouvant sans complexe dans la saleté des ruelles en terre. Au large, la plainte d'une colonie de goélands en quête de restes de poissons me rappelait une dernière fois combien la vie terrestre pouvait-être fascinante.

Soudain apparut face à moi une porte géante en bois avec à son faîte l'inscription suivante : « COLONIE MARITIME ET AGRICOLE. »

Elle s'ouvrit dans un interminable grincement, happant dans son antre le petit Hypolite Guégan accompagné de son silencieux camarade d'infortune. J'avais détesté mon prénom autant que cette vie qui n'avançait pas.

À cet instant précis le soleil se voila, faisant disparaître mon ombre et laissant ainsi une part de moi-même dans l'univers des vivants.

Cette année-là, à l'heure des balbutiements du cinéma des frères Lumière, je n'apprendrai pas que Félix Faure paradait comme nouveau président  de la IIIe République. De toute mon existence, je fus sciemment ignorant et me moquais de ceux qui dirigeaient les peuples. De quelle manière aurais-je pu m'en préoccuper ? J'avais évolué dans un milieu inculte, de désolation, très éloigné de la bonne société. Je ne lisais pas et savais juste compter les trois sous que je possédais.

Je ne pouvais pas non plus imaginer qu'à seulement quelques kilomètres de moi, à la Pointe des Poulains, la grande Sarah Bernhardt, au bras de l'un de ses amants exposait un visage radieux au soleil.

Toute cette injustice me désolait, mais au plus profond de mon âme, j'étais certain qu'à l'avenir je serai celui que l'on envie, que l'on n'ose pas montrer du doigt par pure correction. Je me promènerai au bras d'une élégante dissimulant son visage sous l'ombrelle de la réussite. 

J'avais survécu à la forte mortalité de cette fin de siècle, battu les fièvres, affronté les rages de dents, évité les microbes insidieux... « Ah que oui, la chance me sourira après le sombre de ces longs hivers ! ».

Encore loin de ce brillant avenir, pour la première fois je laissai choir une larme sur le pavé de la souffrance... 

 

 

 

 

 

Nous avons besoin de votre consentement pour charger les traductions

Nous utilisons un service tiers pour traduire le contenu du site web qui peut collecter des données sur votre activité. Veuillez consulter les détails dans la politique de confidentialité et accepter le service pour voir les traductions.